La coopération au développement et moi, c’est une histoire d’amour/ haine. D’un côté, ce secteur professionnel m’a permis de voyager sans être touriste, de rencontrer mes collègues venus d’autres cultures, de pratique l’ouverture à l’autre, de m’imprégner d’autres contextes tout en me sentant utile. Mais de l’autre, j’ai découvert le revers de la médaille : un paternalisme encore très ancré, des pratiques liées aux aspirations néocoloniales de certaines bailleurs, une imposition d’un point de vue unique, un racisme bienveillant et un sentiment de supériorité sur cet autre que nous viendrions aidé.
Bien entendu, toutes les acteurs de la coopération au développement ne sont pas que mauvais et un véritable mouvement de Décolonisation de l’Aide est en route, de plus en plus visible. Des efforts importants sont fait pour inclure les personnes concernées dans les discussions. Des grandes institutions remettent en question leur image de sauveteur blanc comme Médecins sans frontières dans cette vidéo.
Mais plus encore, il est très important d’aborder l’écosystème de la coopération au développement avec nuances. Dans une même institution ou ONG, plusieurs courants de pensée cohabitent : de la bonne intention à double tranchant de « vouloir aider » à la quasi auto-censure des personnes blanches pour éviter de prendre la place de son collègue africain dans le débat.
Comment reprocher à quelqu’un de vouloir aider l’autre ? Et bien cela dépend de comment vous allez considérer l’autre dans votre aide. Pensez vous que l’autre est incapable de s’aider ou souhaitez-vous compléter son action ? Êtes vous prêts à recevoir autant de l’autre ou ne voulez-vous que donner ?
En vivant dans le «Sud » ( à prononcer de la même manière que « le Nord » du film « Bienvenue chez les Chtis »), je suis témoin des contradictions de la Coopération au Développement avec encore , malheureusement, de nombreuses mauvaises pratiques et puis d’autres que je trouve bien meilleures. Petit tour d’horizon.
Les mauvaises pratiques de la coopération au développement.
La posture de l’expert est très régulièrement utilisée comme une justification de l’aide au développement. Un discours un peu grossier qui constitue à raconter que « Nous sommes des experts et nous allons aider ceux qui ne savent pas le faire ». Ce discours nie la connaissance, le savoir mais aussi la capacité d’action des personnes qu’on vient aider. Pour ma part, c’est ce discours, entre autre, qui me fera quitter mon premier emploi dans la coopération. Mon employeur s’attendait à ce que je puisse dicter les façons de faire à un gestionnaire de santé rwandais expérimenté sur comment gérer son hôpital. A 26 ans tout mouillée, ni connaissant rien en gestion hospitalière et ne vivant pas au Rwanda, je n’y retrouvais pas ma place et pourtant c’était demandé de moi.
Cette représentation des personnes comme ignorante et passive, se retrouve aussi dans la langue même utilisée par la coopération au développement : on parle de « bénéficiaires », de « récipiendaires » au mieux de « public-cible ». Ce qui pourrait donner l’impression que ces « bénéficiaires » sont passif face à leur besoin et n’agissent pas sur leur situation. Cela induit également qu’automatiquement le projet de coopération ou d’aide est forcément « bénéfique » puisque s’adressant à des « bénéficiaires » sans remise en question de la pertinence de l’action. On voit un changement chez certains acteurs du secteur qui commencent à parler de « partenaires », de « participants » ou dans le cadre de l’aide humanitaire de « population affectée » ; rendant ainsi leur pouvoir d’agir aux personnes du terrain de l’action.
Un autre aspect négatif du secteur de la coopération, c’est de trop souvent ne pas reconnaitre ses propres biais culturels et donc ne pas se rendre compte que les programmes et stratégies de l’institution ou association de développement sont culturellement biaisés.
Les programmes et projets de développement sont encore majoritairement conçu dans des bureaux par des experts pays ou experts thématiques. Et si on voit ( et tant mieux) de plus en plus de collègues africains ou plus généralement issus du Sud, ceux-ci ont régulièrement été éduqué dans des écoles européennes, apportant ainsi avec eux les biais de leur éducation.
Ces biais vont aussi se manifester dans le choix des interlocuteurs. Que ce soit consciemment ou pas, on va plus facilement échanger avec quelqu’un dont on partage les codes et le mode de pensée. C’est un biais qui existe, c’est aux acteurs de la coopération à le questionner et à le dépasser. Ce n’a pas été le cas d’une fondation importante en Belgique, la fondation Roi Baudouin qui, suite à un conflit entre différents porteurs d’un même projet, préfère continuer le dialogue avec le porteur , néerlandais et de même classe social qu’avec les acteurs de terrain burkinabè.
Trop régulièrement , la conception des programmes et projets de développement n’inclut pas les personnes concernées, ceux qui pourtant vont appliquer la solution imaginée sur le terrain. Ce sont des programmes que j’appelle « hors sols ». Et même si la participation commence à se répandre et à devenir obligatoire comme mentionnée dans les projets, elle se fait malheureusement souvent a posteriori. C’est le cas de l’association « Entrepreneurs pour le monde » qui annonce incuber des structures de micro-finances pour les mener à l’autonomie mais qui, à une sollicitation ,répond n’incuber que des projets conçus en interne ; se privant ainsi de projets développés directement localement. Des projets et programmes non-conçus localement devront d’abord être appropriés par les populations locales si on souhaite qu’ils perdurent et si celles-ci n’ont pas été impliquées dans leur conception de nombreux éléments peuvent manquer : besoins définis localement, complexité du tissu social, etc.
Ce manque d’implication des personnes concernées se fait par les grandes institutions internationales, par les associations occidentales présentes en Afrique mais j’ai pu également observer ce biais chez des organisations 100% burkinabè. Généralement avec un siège à Ouagadougou, elles vont vouloir ouvrir une succursale à Bobo-Dioulasso en répétant leurs activités de Ouaga. Or les manières de faire, les habitudes, le tissu social bobolais et les besoins présents à Bobo différent largement de ceux de Ouaga. A ces différences de contexte s’ajoute une certaine fierté bobolaise qui ne veut pas se voir « imposer » par Ouaga vouant ainsi ces succursales à l’échec.
Les bonnes pratiques de la coopération au développement.
Mais du coup, devons-nous cessez toute coopération ? Pas du tout ! La coopération est nécessaire, enrichissante mais elle se doit de l’être des deux côtés.
Nous devons redonner son sens premier au mot « coopération »,
« une relation de réciprocité équitable entre les partenaires d’un échange, dans une perspective d’évolution » ( extrait de Dictionnaire de sociologie Clinique par Christine Vander Borght) ou plus simplement le fait de collaborer à une action commune.
On voit que dans ces définitions, on ne retrouve pas cette hiérarchie entre celui qui sait ( l’expert en développement) et celui qui reçoit ( le bénéficiaire). On est dans un échange sur base égalitaire et qui va apporter autant à l’un que à l’autre.
Une coopération au développement peut ainsi co-construire l’expertise comme c’est le cas des Barefoot Guides qui développe des guides de bonnes pratiques en faveur du changement social, co-écrit avec des associations d’une variété de pays.
La coopération au développement , c’est aussi apprendre l’un de l’autre comme cela été lors de ma formation en éco-coopérante avec l’Institut Eco-conseil.
C’est prendre le temps de construire des programmes sur base des besoins locaux et avec l’apport et l’expertise locale. Cela prend du temps de se rendre sur place, de consulter et d’impliquer, cela demande des moyens également et les initiatives de plus en plus nombreuses de certains appels à projets d’avoir une phase « exploration » sont à saluer comme ce stade 0, subvention de préparation du FID.
C’est avoir la plus grande attention de « Ne rien faire pour nous, sans nous », une expression qu’on retrouve dans le mouvement de défense des personnes handicapées et que je reprends d’une présentation de programme de Light For the World International qui par ses actions d’inclusion me redonne espoir dans une certaine forme de coopération.
Cet échange, cette réciprocité, cette attention véritable à l’autre, telle est la coopération à laquelle je souhaite contribuer.
