Il y a quelques semaines, j’ai commencé des cours de Jula ( prononcé Dioula , tout comme on l’écrit en français), la langue parlée par une majorité à Bobo Dioulasso. La langue la plus parlée à ne pas confondre avec la langue maternelle de la majorité des habitants de Bobo. En effet, le Jula est une langue véhiculaire, une langue parlée à l’origine par les commerçants et utilisée par les différents groupes ethniques de la région pour se comprendre. Alors, même si de plus en plus d’enfants nés dans la ville de Bobo grandissent en Dioula, ce n’est pas le cas de tous sans compter que le taux élevé d’urbanisation de la ville démontre que la plupart de ces habitants n’y sont pas nés. Même si pour se faire comprendre avec les copains, copines, on va vite parler Dioula, puis en français si on va à l’école car l’enseignement reste un vieux héritage marqué par le colonialisme.
Plusieurs scientifiques ont pour théorie que la structure même des langues, et d’autant plus des langues pratiquées dans l’enfance, influence également notre façon de penser. Je vous conseiller notamment les travaux de Lera Boroditsky ou Humboldt. Ce court article est d’ailleurs fort intéressant et peu prise de tête. En pratique, je pense notamment à mes compatriotes flamands en général plus directs dans leurs interactions et qui utilisent une langue dont la structure est centrée sur le verbe parfois à l’opposé des francophones dont la langue met l’accent sur les compléments, une langue où chaque mot peut vêtir d’amples significations selon la tournures de phrase, une langue faite pour suggérer plus que pour dire directement. « Le français élastique » comme diraient les burkinabé qui aiment en jouer pour ne pas s’engager trop.

Cela m’interroge sur la culture burkinabé et plus particulièrement sur la culture bobolaise (bobolaise= des habitants de Bobo Dioulasso et non pas bobos, les bobos étant une ethnie particulière, présente à l’origine de la ville) à deux niveaux.
Le premier est celle-ci quelle est l’influence sur une culture du multilinguisme ? Les bobolais sont tous bilingues voir trilingues avec une langue maternelle, le dioula, le français ( enseigné à l’école) auquel s’ajoutent parfois d’autres langues du Burkina comme le Mooré ou le Fulundé, d’autres langues apprises à l’école ( langues européennes donc comme l’Anglais ou l’Allemand) ou encore des langues commerciales comme l’anglais mais aussi l’arabe voir le chinois. De mon expérience, je sais que ma manière de penser , de faire réflexions à évoluer quand je me suis installée pour 3 ans au Royaume-Uni. Certaines de mes réflexions intimes se déroulent maintenant dans ma tête en anglais, voir même parfois en néerlandais or j’étais déjà adulte quand ce phénomène est arrivé. Comment pense-t-on quand on a grandi avec plusieurs langues dans sa tête ?
La deuxième interrogation vient d’une découverte plus récente. A mon grand étonnement, j’ai eu du mal dans mes premiers apprentissages du Dioula à trouver la forme négative. A ma question « comment on dit « je n’ai pas » ? », mon professeur à répondu « excellente question » avec ce petit sourire que je commence à reconnaitre chez ceux chez qui je viens de pointer une particularité culturelle qu’on n’a pas l’habitude d’expliquer aux étrangers. Par pudeur, parce que c’est un mystère, que l’étranger ne comprendrait pas, par peur d’être dénigré ou par discrétion fière.
Alors si il existe une manière de dire « je n’ai pas » et donc une certaine forme négative, les mots « oui » et « non », eux n’existent pas en Dioula ( ils existent pourtant bien en Bambara une langue sœur du Dioula). « Pour dire oui, tu dis « hun hun » et pour dire non, tu dis « hun hun », tu peux t’aider des mouvements de la tête pour comprendre ». Il existe une grande variété de significations à ce « hun, hun » selon l’intonation mise qui va au-delà du « oui/non ».
Alors qu’est ce que cela peut bien vouloir dire pour une culture entière de ne pas avoir de mot précis pour dire « non » ? Cela viendrait -il du fait que le Dioula est d’abord une langue de commerçants, une culture où il est bon de ne pas être trop direct, de ne pas fermer les portes ? Est-ce pour cela qu’il me semble si difficile d’avoir des réponses claires à mes questions, parfois aussi simple que « tu passes à la maison ce soir ? ». En tout cas, venant d’une culture où le « non, peut-être » veut dire « oui, bien sûr » et inversement, je ne devrais pas avoir trop trop de mal à m’y faire.

Une réflexion sur “Ni oui, ni non, bien au contraire.”