Ce que j’ai compris de ce qui s’est passé.
Ce vendredi 30 septembre et le weekend qui a suivi a vu un changement à la tête du régime au Burkina Faso accompagné de mouvements populaires et de revendications fortes de la population burkinabè.
J’avoue ne pas avoir tout compris du déroulement des faits mais voici ce que j’ai compris.
Des militaires n’étaient plus d’accord avec d’autres militaires et celui en place a été donc renversé. La situation a également raviver un sentiment anti-gouvernement français bien présent dans la population. Je vous invite à suivre les médias burkinabè et africains pour de plus amples explications ou pour la chronologie exacte des événements (et rappelez-vous de vérifier vos sources ainsi que les propriétaires de vos sources !)
Il y a eu de nombreuses manifestations dans de nombreuses villes du pays et surtout à la capitale mais aussi dans ma ville de Bobo-Dioulasso.
Au final, le changement de régime aurait fait 2 morts , 9 blessés peut être un peu plus , il n’y a pas de chiffre officiel mais très probablement bien moins que les 174 morts lors de ce mouvement de foule dans un stade de foot en Indonésie le même weekend.
Comment j’ai vécu les événements : entre sérénité et questionnement sur la peur
Et moi, comment je vis un coup d’état et des manifestations dirigées contre les intérêts des occidentaux ?
Avec prudence mais au final assez sereinement. Suffisamment intégrée et entourée d’amis burkinabè comme étrangers, je reçois assez rapidement les nouvelles des manifestations. Jeudi déjà, un ami me demande d’être prudente dans mes déplacements. Il me répètera cet appel également le samedi matin. Une amie française me transfère également les messages de son ambassade, plus alarmistes et qui appellent à une grande prudence.
Déjà sur la route ce samedi, je vais me retrouver dans une situation un peu absurde si légèrement stressante pendant 2 minutes. Arrêtée en bord de route pour acheter quelques légumes, je vois arriver un camion de militaires suivi par une foule à moto qui klaxonne… Consciente de ma blancheur de peau pourtant de plus en plus rouge grâce à un coup de soleil naissant, je me mets bien sur le côté. Reprenant la moto quelques minutes, je vois les militaires s’arrêter , faire arrêter les motos et les passants, mon stress monte un peu… Ils font arrêter une belle voiture et en descendent un militaire en costume d’apparat et une mariée ! Il faut dire que les mariages militaires comportent un élément de bizutage pour les mariés. Quand je redémarre, les deux nouveaux époux sont en train de marcher en canard devant leur voiture. Bien que cette rencontre m’a bien causée une petite pointe de stress, j’ai aussi bien rigolé.
En début d’après-midi du samedi, une collègue nous prévient de dégâts causés à l’Institut Français de Bobo-Dioulasso. Mon amie française m’appelle me transmettant les mêmes nouvelles ainsi que des nouvelles de Ouagadougou. Les manifestations se tournent contre la présence française. Il n’est donc pas prudent en tant que blanc de se balader en ville . Après un appel pour rassurer le papa de ma jeune amie qui reste avec moi ce weekend, je m’installe pour un samedi et fort probablement un dimanche à la maison.
Je surveille également les réseaux sociaux et chaines d’informations pour estimer à quel moment je dois rassurer mes amis et famille en Belgique. Je lis la déclaration du président Tchétchène qui appelle à l’utilisation d’armes nucléaires ( mes parents habitent à 500 m du siège de l’Otan), des articles sur le prix de l’énergie, sur le changement climatique, sur l’Iran tout en continuant en recevoir des informations sur les manifestations au Burkina … Ça crée un climat d’angoisse, je préfère couper. Je me sens assez entourée que si quelque chose de grave arrive et que des actions supplémentaires sont à prendre, je serai informée. Ma jeune invitée et moi regardons un film sur Netflix pour passer la soirée.
Plus tard, quand on m’informe qu’un grand rassemblement a lieu proche de chez moi, ma pensée est « tiens, c’était au niveau du mariage, peut-être que celui -ci se termine » sans y croire vraiment mais ça relativise et je m’endors tranquillement.
Le dimanche, je jardine le matin. Un ami vient de me rendre visite. L’ambassade de Belgique m’appelle au moment où je prépare le repas pour nous trois : mon ami, ma jeune invitée et moi. « heu, oui, moi ça va bien . Oui, Oui, je reste prudente et je ne sors pas. Oui, je connais le numéro d’urgence de l’ambassade. Bonne journée , monsieur, bon courage ». Le monsieur de l’ambassade semble tout perturbé de mon attitude sereine. Et si un message de leur part aurait été à propos la veille vu la confusion qui régnait , je vais assez bien.
Lundi, il reste cette ambiance bizarre, ces manifestations prévues contre la présence française. Je reste prudente mais me dis mardi, je vais au bureau. Mardi matin, je reçois de mon amie française un message de l’ambassade française qui prévient de manifestations ce jour, message que les français auraient reçu à 1h du matin, pas très rassurant de nature! Je préfères suivre mes contacts burkinabè toute en restant prudente : je ne vais pas loin, je sais quel détour faire si je croise une manifestation, je vais au bureau. Le soir, je vais au cours de yoga. Je vis ainsi une journée assez tranquille à l’opposé des quelques messages venant des toubabou qui m’auraient appelé à rester à la maison.
Les nombreux messages qui ont circulé sur la situation, tout comme les informations plus globales que j’ai lu en étant plus connectée me posent question sur le climat de peur et d’angoisse que cela crée. J’aurais été déconnectée tout le week-end , j’aurais passé un très bon week-end sans stress particulier et aurais simplement découvert la situation le lundi matin. Tout comme ce qui m’était arrivé lors de mon séjour à Madagascar où notre groupe de randonneurs a appris le coup d’état terminé, une semaine plus tard en rejoignant la route.
Même si je pense qu’il vaut mieux rester informé, ne pas être trop informé est également important tout comme ne pas s’inquiéter outre mesure des événement sur lesquels nous n’avons aucun contrôle.
« Ayez la sérénité d’accepter ce que vous ne pouvez pas changer, le courage de changer ce que vous pouvez et surtout, la sagesse d’en connaitre la différence » attribué à Marc-Aurèle
Réflexions plus profondes sur fond de manifestations populaires
Les mouvements de foule qui ont accompagné les événements du week-end démontrent la frustration de la population. Ces manifestations dirigées contre la présence française et qui prend en exemple le Mali voisin ont été décrites comme violentes. Le bruit qui courait était que les occidentaux sont visés.
Alors , oui un message vocal clairement appelant à la haine voir aux meurtres des ressortissants étrangers a été diffusé mais ce message a été peu suivi et son auteur a été rappelé à l’ordre y compris par des membres du même mouvement. Des actes de vandalisme ont été commis contre les institutions françaises publiques et privés : incendie du kiosque devant l’institut français de Bobo-Dioulasso, pillage et saccage d’un bâtiment de l’institut français de Ouagadougou, vandalisme sur l’ambassade de France, vandalisme des panneaux devant les bureaux du groupe Bolloré, appel aux vandalisme sur les stations Total.
Une foule c’est bête. Ne dit-on pas qu’une foule à l’intelligence du plus bête divisé par le nombre qui la compose ? Et clairement, les intérêts français sont visés. L’amalgame est vite arrivé entre gouvernement français et ressortissants français résident au Burkina voir toutes personnes blanches de peau , soyons prudent !
Par ailleurs, les manifestants sont jeunes, probablement facilement influençables et échauffés par le chômage, la misère, la crise économique, la crise du terrorisme et le manque d’espoir.
Et pourtant, quelque part, et avec le recul, je ne peux m’empêcher de penser que cette foule n’est peut-être pas si bête que ça et même que je serai probablement d’accord avec leurs revendications. Oui, je sais dire être d’accord avec des manifestants violents, c’est provocateur mais continuer à me lire.
Je ne dis pas être d’accord avec l’individu imbécile ayant appelé au meurtre ni avec ceux qui ont fortement secoués la voiture d’une française partie au mauvais moment au centre-ville. Par ailleurs, je ne suis pas certaine que les jeunes manifestants peuvent tous articuler leur pensée politique aussi clairement.
Mais quand je constate que peu de personnes physiques ont été touchées et quand je regarde les bâtiments et enseignes vandalisés, je ne peux m’empêcher de voir que ce qui a été visé sont les signes de la présence coloniale continue (du gouvernement français ou des compagnies privées d’origine françaises).
En discutant avec des amis français résidant ici au Burkina, je me suis rendue compte du nombre de services que ceux-ci reçoivent de leur gouvernement : service social à l’ambassade, venue de médecins jusqu’à Bobo-Dioulasso, centre culturel, école française , député des français de l’étranger et donc représentation à leur assemblée nationale, assurance santé des français de l’étranger. Je me demande avec sincérité combien de français resteraient au Burkina Faso si ces services n’existaient pas.
Bien entendu, dans le cas où est l’expatriation n’est pas choisie, pour suivre un travail par exemple, il me parait juste que l’employeur s’assure de fournir à son employé et à sa famille des services de qualité, une continuité pédagogique pour ses enfants, etc. C’est par exemple ce que j’ai vu toute mon enfance avec l’école et les services du SHAPE, le camp militaire de l’OTAN où les militaires sont déployés pour une période de 3 à 4 ans.
Or, les français que je rencontre au Burkina ne travaillent pas , ou pas en majorité pour le gouvernement français. Quoi que en ce qui concerne Bobo-Dioulasso, j’ai parfois l’impression que les enfants de l’école française sont en grande partie, les enfants des employés et professeurs de l’école française… Pourquoi donc l’état français continue ainsi à donner des services aussi poussés à ses ressortissants qui ont fait le choix de ne plus vivre sur le territoire français ? Est-ce que avoir accès à ses services ne limitent pas l’intégration dans le pays d’accueil ? ( et loin de moi, de faire la critique de ceux et celles qui à titre personnel décident d’utiliser ces services , souvent de meilleure qualité ou moins onéreux vu qu’ils sont à disposition). Pourquoi l’état français maintient il des institutions , autre que des bureaux de coopération, dans un pays qui n’est pas le sien si ce n’est pour maintenir une forme de présence, d’invasion? Et ici on parle de l’état français mais soyons conscient c’est la même chose pour l’état belge au Congo ou au Burundi, les Etats-Unis un peu partout dans le monde, le Royaume Uni dans le Common Wealth, etc. Mon ressenti serait fort différent si ces services avaient été créés et étaient gérés pas des privés s’étant rendu-compte du marché que représentaient les nombreux étrangers francophones présent.
En tant qu’occidentaux, nous venons dans un pays tierce avec déjà beaucoup de privilèges : puissance du passeport et facilité de visa, privilège économique, préjugés en majorité positifs sur les blancs…. Ne pas questionner les privilèges supplémentaires donnés par l’état d’origine est pour moi une erreur.
Par ailleurs, il est évident que les entreprises françaises ou d’origines françaises comme Total, le groupe Bolloré ne sont pas présentes au Burkina pour le développement du pays mais bien pour faire du profit et très probablement du profit découlant de l’exploitation du Burkina et de ses ressources.
Bien entendu, des burkinabè travaillent dans ces entreprises et en bénéficient. Tout comme les étudiants et surtout les artistes bénéficient de installations des Instituts Français et que des burkinabè ont pu bénéficier des services médicaux français. Nous sommes dans un monde de nuance de gris, de complexité. Mais je ne peux m’empêcher de penser que dans sa compréhension instinctive, la foule de ce week-end et de ce début de semaine n’est pas si bête que ça et que la rejeter purement sans plus de réflexions est une erreur.
Et maintenant ?
A l’heure où je vous écrit, le nouveau groupe de militaire à la tête du Burkina n’a pas encore dévoilé ses intentions qu’en la nomination d’un gouvernement. Les seules choses dites sont que la priorité sera à la sécurisation du territoire et la mention d’un président civil ou militaire. La mention de l’option d’une présidence civile est signe , il me semble, d’ouverture même si je ne pense pas qu’elle sera prise, la population plébiscite le nouvel homme fort. D’ailleurs, les instances internationales comme la CEDEAO semblent également confiantes face au nouveau MPSR. Le temps nous dira si les nouveaux tiendront parole.
Plusieurs éléments m’apportent une forme de réassurance.
Tout d’abord, un premier ravitaillement de la ville de Djibo a été effectué par les voies aériennes, ce qui réalise au minimum la première promesse des nouveaux dirigeants. Si ceux -ci se concentrent effectivement sur la reprise du territoire national sans se faire noyer par les questions politiques, les luttes de pouvoir et la corruption, on peut espérer un retour de la paix au Burkina Faso.
Par ailleurs, à plusieurs reprises ces derniers jours, des forces vives civiles sont intervenues de manière constructive. Les autorités coutumières et religieuses ont eu un rôle actif de médiation entre partisans de l’ancien président et nouveaux arrivés. Ces mêmes autorités coutumières et religieuses ainsi que des leaders d’Organisations de la Société Civile ont appelé activement les manifestants à l’apaisement et à la réconciliation. Alors que jusqu’à présent, je trouvais ces leaders d’opinion soit passif (dans le cas des autorités coutumières) soit critiques sans solution ( dans le cas des OSC), j’ai l’impression d’avoir vu une prise de responsabilité et une proactivité bienvenue.
Par ailleurs, en écrivant cet article, je viens de voir passer une annonce que les instituts français du Burkina ( Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) resteront fermés jusqu’à nouvel ordre. Solidaire avec les artistes burkinabè qui perdent une plateforme d’expression de leur art, avec les personnes ayant perdu leur emploi et les étudiants bénéficiant des services des dit-centres, il me plait de rêver à une reprise de ces lieux par une entité plus neutre politiquement que ce soit l’Organisation Internationale de la Francophonie voir, et je sais être une douce rêveuse, par un collectif d’artistes qui pratiqueraient une mixité choisie et égalitaire, afin de conserver les apports bénéfiques tout en se débarrassant des reliquats de l’histoire passée.

Merci pour ces explications toutes en nuances et très éclairantes, qui m’ont permis de mieux comprendre ces événements et de percevoir un peu mieux les enjeux et la diversité des parties en présence. Content aussi que ces nouvelles soient rassurantes sur ta situation personnelle.
Carmelo
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