De l’identité sociale burkinabè

L’identité sociale est une chose complexe : si elle ne définit pas qui on est, elle offre une grille de lecture aux personnes qui nous rencontrent pour nous catégoriser. « L’identité sociale correspond à ce qui permet à autrui d’identifier de manière pertinente un individu par les statuts, les codes, les attributs qu’il partage avec les autres membres des groupes auxquels il appartient (…) ». L’identité sociale permet de se connaitre soi, d’appréhender sa place dans la société mais peut aussi être un carcan plus ou moins lourd selon nos désirs de nous y conformer ou pas.

En Belgique, pays de ma culture où il m’est facile d’identifier les codes sociaux, mon identité sociale me parait relativement simple : femme, blanche, francophone, universitaire et valide.

Me pencher sur l’identité sociale burkinabè m’est plus complexe mais me révèle beaucoup sur ma société d’accueil et notamment sur sa complexité et les paradoxes qui peuvent co-exister dans une même identité sociale.

Pour décrire cette complexité de l’identité sociale burkinabè, il semble plus simple de prendre un exemple. Partons de l’identité sociale d’un ami à moi.

Note : cette identité sociale de mon ami vous en dit en réalité très peu sur qui il est. Ainsi, cette identité sociale ne dit rien sur sa curiosité naturelle, le fait qu’il aime les chats ( fait pourtant rare parmi les burkinabè) ou qu’il adore raconter des histoires. Par contre, son identité sociale va nous permettre de comprendre quelques clefs de la société burkinabè.

Une identité multiple et colorée

 

Mon ami est

Un homme

Au Burkina, les rôles sociaux liés au genre sont encore très marqués et différenciés. Les hommes et les femmes y vivent une vie très séparée. La féministe en moi vous dirait également que la discrimination liée au genre est encore trop présente et que les femmes se retrouvent enfermées dans leur rôle de mère, de responsable du ménage et de la maison, etc. Mais cette séparation des rôles sociaux n’est pas sans conséquences sur les hommes qui se doivent pour jouer leur rôle d’homme de se présenter comme fort (aka sans émotions ni faiblesses)et protecteur du foyer sans pouvoir présenter d’alternatives.

Mossi

Mon ami est mossi, ethnie majoritaire au Burkina Faso. L’ethnie mossi s’est historiquement déployée sur le territoire du Burkina par une conquête assimilationniste ( càd laissant une certaine liberté aux peuples sous leur dominance leur confiant également des postes de pouvoir, à la mode des Romains en Europe).  Organisée de manière structurée, la société mossi a été plus vite comprise par les colonisateurs qui ont favorisé ce mode de fonctionnement structuré en se reposant sur cet aspect de la société mossi. Et ainsi  a indirectement privilégié les mossi dans le système colonial ( et ceci bien que de nombreuses figures mossi aient également été opposées aux colonisateurs, le privilège étant issu d’une compréhension mutuelle plus aisée car reposant sur des modes d’organisation similaire).

Musulman

Mon ami est musulman et à l’opposé de ce qu’on vient de voir ci-dessus, les musulmans sont moins privilégiés par le système hérité du colonisateur. En effet, on va retrouver dans une majorité de postes de fonctionnaires plutôt des chrétiens, les musulmans se développant dans le commerce. Ceci s’explique par le système éducatif permettant d’accéder au poste des fonctionnaires. Les meilleures écoles (ou en tout cas, les écoles formant aux compétences valorisées par le système administratif telle que le français, la gestion administrative et le respect stricte la hiérarchie) sont des écoles de confession chrétienne : protestante ou catholique. Des écoles où les communautés musulmanes vont être plus réticents à envoyer leurs enfants et notamment les communautés musulmanes rurales.

Cette différence semble s’atténuer dans les jeunes générations avec la généralisation de la scolarisation mais se remarque encore bien dans les collectivités territoriales et les institutions étatiques notamment au niveau des anciens.

Universitaire

Mon ami plutôt jeune a étudié à l’université. Il a donc également dans son identité sociale le fait d’avoir étudier mais fait également partie d’un groupe social qui a son importance ici : celui de ses promotionnaires, ceux avec qui il a fait ses études. Ce groupe va rester d’une importance certaine jusque tard dans la vie du burkinabè. Ainsi même à quelques années de la pension, un burkinabè demandera ( et obtiendra) toujours en priorité une aide à son promotionnaire.

Sportif

Mon ami est sportif et a pratiqué le sport en équipe en compétition. Une partie de son identité ( et de la reconnaissance sociale associée) est donc liée à ce passé sportif.

Employé d’une grande entreprise

 Nous l’avons vu , il y a quelques mois, l’employeur fait partie intégrante de la communauté et donc de l’identité sociale d’un burkinabè. Le fait de travailler, d’avoir un emploi rémunéré avec une fiche de salaire, de travailler dans une grande entreprise ( et non dans une petite boutique, dans une association ou dans une institution étatique) fait partie intégrante de l’identité ( bien que cet aspect semble moins marqué chez mon ami que  chez d’autres)

Bobolais mais pas bobo

Mon ami est né, a grandi et a suivi ses études à Bobo-Dioulasso. Et bien qu’il ai tourné pas mal dans le Burkina, il est habitant de Bobo, Il est bobolais.  Mais il n’est pas Bobo, ethnie autochtone de la ville de Bobo-Dioulasso et son village est toujours situé bien plus au nord, du côté de Zorgho. Peu importe que ce soit son père ou son grand-père qui soit venu s’installer à Bobo-Dioulasso, le village de la famille restera toujours celui-là. D’ailleurs quand un burkinabè rencontre un autre burkinabè, cette question de l’origine est essentielle. Une fois le nom de famille échangé, on va pouvoir situé l’ethnie de l’interlocuteur mais on va aussi demander de quel village.

Le fait de ne pas être autochtone de la ville de Bobo-Dioulasso a aussi des conséquences sur la manière dont mon ami vit sa ville. Ainsi , il hésite franchement à se rendre dans certains quartiers historiques , fief des bobo et ethnies autochtones.

Quand il m’a raconté le fait qu’il n’aille pas visité tel ou tel quartier car c’est celui des autochtones, cela m’a interpellé… C’est comme ci un ami bruxellois me disait ne jamais aller dans le quartier des Marolles car c’est le lieu de résidence des vrai bruxellaires….Et cependant, avec le recul, je crois penser qu’il doit être rare pour un fonctionnaire européen de se rendre dans les Marolles une fois la nuit tombée même après 20 ans à Bruxelles. Comme quoi les burkinabè n’ont pas le monopole de l’identité sociale complexe et paradoxale.

Une réflexion sur “De l’identité sociale burkinabè

  1. Coucou, je lis tes news avec intérêt. Cela permet de se rendre compte des réalités mais surtout de la façon de vivre et de vivre ensemble dans ce pays. Grand merci pour cela. Bernard BENOIT

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