8 jours sans internet… mais pourquoi?

Du 20 novembre au 28 novembre 2021, il n’y avait pas internet au Burkina Faso… enfin en tout cas pas d’internet mobile, la 4G était coupée sur l’ensemble du territoire, seul les Wi-Fi venant des modems fonctionnaient. Cette décision venait officiellement du gouvernement Burkinabè qui invoquait des raisons de « sécurité nationale ». On peut interpréter que ce soit pour empêcher des manifestations prévues le 27 novembre soit, de manière plus perverse, pour empêcher les informations concernant le blocage d’un convoi militaire français de circuler.

En effet, l’atmosphère est tendue, la population burkinabè est en colère : en colère de la durée de la présence de terroristes sur le territoire, en colère des manquements dans l’organisation de l’armée qui laisse vulnérables les agents des forces de l’ordre sur le terrain, en colère sur la présence d’une armée étrangère ( française) non-subordonnée à la leur et qui malgré sa soi-disant puissance ne semble pas gagner de terrain sur le terrorisme. En colère probablement aussi sur l’augmentation du coût de la vie, sur le manque de sécurité mais aussi de services de bases. Une population qui voulait montrer sa colère lors de manifestations prévues le 27 novembre mais qui faute de revendications ciblées ne semble pas arriver à s’organiser.

Il faut dire que la situation est complexe.

Une situation très complexe

De ce que je peux comprendre de ma position, le Burkina Faso connait depuis 2015 une augmentation de la présence de terroristes islamistes sur son territoire ( comme dans l’ensemble du Sahel). Cette présence, au début cantonnée au nord, puis le long des frontières, se diffuse un peu partout profitant d’une population déjà isolée des services étatiques ( pas reliées par une route correcte, sans services médicaux ou d’écoles) et fragilisées par l’avancée du Sahara et les aléas climatiques. Une population désœuvrée, se sentant abandonnée et chez qui il va être plus facile de recruter.

Par ailleurs, la présence islamiste n’est pas uniforme , différents mouvements sont présents au Burkina : l’Etat Islamiste, Boko Haram. Ces différents mouvements vont parfois se comporter en rivaux avec la population entre le marteau et l’enclume.

L’instabilité créée profite également à un nombre grandissant de HANI ( Hommes Armés Non Identifiés), le banditisme augmente notamment sur les routes et aux frontières et participe à ce cercle vicieux de l’instabilité sécuritaire.

Un silence médiatique européen révélateur

Mais ces mouvements islamistes et leurs actions ont d’autres origines comme le montre ce reportage suite au blocage d’un convoi militaire français  durant la semaine « sans internet » du 20 au 28 novembre et  surtout le conséquent silence des médias internationaux

Franchement, je vous conseille le visionnage qui démontre en moins de 30 minutes comment la situation sécuritaire du Sahel doit son origine à l’ ingérence française et à l’exploitation de la misère de la population.

Les conséquences

La situation telle qu’elle est aujourd’hui crée un climat d’insécurité, des milliers de déplacés internes, un sentiment anti-français (ou plutôt un sentiment anti-politique française bien légitime) grandissant, une économie en berne (pas de touristes, instabilité dans les importations, etc) et ses conséquences sur l’appauvrissement d’une franche importante de la population. Une situation exacerbé par les changements climatiques mais aussi par les conséquences des mesures de luttes contre le covid-19.

Dans cette situation, la décision de couper internet a été plus que mal prise par la population. En effet, si couper internet n’empêche pas une mobilisation profonde (on peut toujours communiquer par téléphone, courrier, bouche-à-oreille), cela a des conséquences importantes pour tous ceux qui en dépendent pour leur travail quotidien.

Les bureaux équipés de Wi-Fi n’ont pas été touchés, permettant aux plus nantis ( si tu travailles dans un bureau équipé de Wi-Fi, tu fais partie des nantis) de continuer leur travail . Mais les vendeurs par internet de pagnes, de savons fait maison, les revendeurs de mégas, d’unités mobiles, les traders en cryptomonnaie ( un phénomène d’une ampleur conséquente dans ce coin du monde), se sont retrouvés coupés de leur revenus pendant 8 jours, une période extrêmement longue quand tu vis financièrement au jour le jour.

Et on est en droit de se demander à qui à profiter réellement cette coupure : est ce réellement pour empêcher une mobilisation contre le gouvernement burkinabè ou est-ce, plus grave, pour empêcher la diffusion d’information sur ce convoi militaire français ce qui  montrerai une subordination flagrante du gouvernement actuel face à l’ancien pouvoir colonial?

 Et toi, du coup, tu te sens comment ?

moi, prête à sauter à pieds joints dans l’action à mon échelle

Et moi, me diriez-vous ? Quelles conséquences en tire-tu ?

Moi, je ne suis pas touchée par les conséquences économiques de la situation. Je garde, et de loin, une position très privilégiée d’étrangère bien accueillie, financièrement plus à l’aise que de nombreux burkinabè et bien installée.

Il est vrai que l’augmentation et la diffusion des actes terroristes sur le territoire pousse à la prudence : il faut éviter les excursions même d’un jour à l’extérieur de la ville et agir avec prudence dans ses déplacements.

Le sentiment anti-français grandissant demande aussi une attention : bien que je ne pense pas ressembler à un militaire français, que je suis belge et que je partage entièrement l’opposition à la politique française menée au Sahel, l’amalgame est vite arrivé , dans une foule en colère ou lors d’une discussion arrosée au bar du coin. Je suis donc plus attentive à ne pas me retrouver dans ce genre de situation et surtout pas sans être accompagnée d’amis burkinabè.

La situation du pays est tellement enchevêtrée qu’il est facile de sentir impuissante face à ça.

Et pourtant, je reste persuadée, qu’à ma modeste manière, je peux contribuer à l’apaisement.

Fuir et quitter le pays ( parce que moi, ben, je pourrais et facilement) ne me parait pas envisageable. Si tous les étrangers font la même chose, ce serait très dommageable : il n’y aurait plus d’ouvertures sur le monde et sur le faire autrement, moins d’investissements qui tendent d’être positifs aussi. Cela augmenterai l’isolement et ne ferai qu’alimenter la terreur.

Et puis s’investir dans des projets qui ouvrent des opportunités économiques, culturelles a du sens.

Un cinéma, cela ouvre les esprits

Un festival, cela permet de se retrouver de vivre ensemble

Une cohorte de personnes formées à l’entrepreneuriat , c’est autant de revenus créés, de familles autonomes et participer, très modestement, à l’indépendance économique du pays

Une serre agricole, c’est une contribution à l’autonomie alimentaire.

Des projets en faveur de l’environnement, c’est contribué à créer un climat stable, sain, productif.

Et puis, avouons-le, au quotidien, je vis une des plus belles parties de ma vie, intense, riche, pleine de sens, donc, tant que le pays m’accueille, internet ou pas, je reste là.

2 réflexions sur “8 jours sans internet… mais pourquoi?

  1. Il y a aussi les conflits nomades-sédentaires, le couloir de trafics (de drogues, humains…)… C’est un sacré noeud de problèmes.
    Mais je pense comme toi. Si chacun se retrousse les manches, il empêche le sombre de prendre toute la place.

    J’aime

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