Je suis une immigrée privilégiée

Depuis mon arrivée à Bobo, j’aime dire que j’ai émigré au Burkina Faso. Cette expression fait lever les sourcils aussi bien à mes amis européens qu’aux burkinabè  et pourtant…

Je suis immigrée

Récemment , je suis tombée sur un article de la London Intercultural Center et publié par Liu Liu qui  parlait de l’accueil fait aux étrangers selon les pays.

Et l’auteur faisait une distinction intéressante entre trois types d’étrangers , càd de personnes présentes dans un pays autre que leur pays d’origine: le touriste, l’expatrié et l’immigré.

  • Le touriste est l’étranger qui vient temporairement dans un pays ( moins d’un an selon la définition de  l’organisation mondiale du tourisme).
  • L’expatrié est l’étranger qui vient dans un pays pour suivre son travail et sa carrière.
  • L’immigré arrive dans un pays pour y  ( re) construire sa vie.

Si après plus de 3 ans et demi de vie au Burkina Faso, il est devenu clair que je ne suis plus une touriste me dire immigrée étonne toujours mes interlocuteurs.

En effet, c’est extrêmement rare que l’on parle des étrangers blancs occidentaux comme étant des immigrés.. Ce sont  plus souvent des expatriés, des «expats » comme ils se désignent  eux même.

Or si je prends mon cas, je ne suis pas venue au Burkina Faso pour un travail particulier ou pour poursuivre ma carrière. Je suis venue au Burkina Faso pour vivre une histoire, une histoire qui m’appelait. Et depuis plus de trois an, j’y construit ma vie. Une vie qui comprend des activités qui me font un revenu ( du travail donc) mais qui a surtout plein d’autres aspects : une vie avec des amis, une vie d’engagements et de militantisme, une vie de loisirs,… Bref, je construis ma vie au Burkina Faso. Je suis donc bien une immigrée.

Et bien que rare sont les autres blancs qui se disent immigrés, la plupart que je côtoie ici à Bobo-Dioulasso sont aussi des immigrés. Venus par amour, pour suivre un partenaire originaire d’ici, venus parfois pour un travail mais restant pour autre chose,  restant pour un lien avec un enfant adopté, ils construisent leur vie ici. Même si la perte d’un emploi peut leur faire questionner leur présence, ce ne sera pas la seule raison de leur éventuel départ. Car ils sont au Burkina pour bien plus qu’un travail.

Bien entendu, il y a aussi à Bobo-Dioulasso tout un groupe de véritables expatriés : employés par des institutions internationales, des agences de développement ou des ONG, ils sont présents pour un projet et restent pour la durée du projet. D’ailleurs à la fin de leur contrat et sans renouvellement de celui-ci, ces blancs-là repartent. Face à la situation sécuritaire du pays et suite aux différents aléas diplomatiques, cette communauté de véritables expats diminue fortement ces deux dernières années.

Pourquoi le blanc ne se dit pas immigré ?

Peut -être cela renvoie à un imaginaire négatif de l’immigré : celui qui, en Europe, est vu comme venant profiter d’une meilleure vie. Peut-être cela renvoie à un discours occidental nauséabond sur «  l’immigration » qui menace la culture occidentale et que c’est difficile de se dire que peut-être , nous blancs étrangers, on pourrait être vu comme tel.

Le blanc occidental se perçoit comme une culture dominante ( et quelque part l’est encore même si il y a un début de changement qui commence à émerger) et en tant que personne issue de la culture dominante, c’est difficile de s’identifier à un immigré, quelqu’un vu au mieux  comme une victime cherchant à refaire sa vie ailleurs, au pire comme un parasite qui vient profiter des avantages d’ailleurs.  Les seuls blancs qui historiquement se sont fait appelés des immigrés sont les italiens, les irlandais  et plus tard les européens de l’est comme les polonais ou les albanais venus lors des booms industriels ( c’est d’ailleurs marrant selon la triple définition vue plus haut, ceux-là sont venus pour du travail, donc ils étaient des expatriés jusqu’à ce qu’ils choisissent de construire leur vie dans leur pays d’accueil).

Il y a une forme de hiérarchie entre expatriés et immigrés, les expatrié sont mieux vus que les immigrés. Est-ce pour ça que ceux et celles issus d’une  culture dominante ne se disent pas immigrés ?

Pourtant, je pense qu’il est important de se désigner soi-même de la bonne définition.  Je suis immigrée et cela comporte des réalités à reconnaitre. Comme le fait que mon titre de séjour est une autorisation pas un droit  inaliénable ou que en tant qu’immigrée je peux avoir une obligation d’intégration, une obligation que l’on assène aux immigrés arrivés en Europe.

Mais une immigrée privilégiée

Me reconnaitre immigrée au même titre qu’un immigré en Europe ne doit pas masquer cependant que mon expérience est bien différente.

Mon passeport est plus fort ( vous pouvez voir les critères de «  force » de passeport ici), on m’accorde plus facilement un visa. J’ai donc une facilité plus grande de voyager mais aussi d’aller carrément m’installer dans un autre pays. D’ailleurs, j’ai déjà beaucoup voyagé et même si je stresse à chaque fois que je renouvelle mon visa pour rester au Burkina,  les procédures de renouvellement ne sont rien par rapport à ce qu’un burkinabè devrait faire pour pouvoir séjourner et rester en Belgique comme je le fais ici.

Mon origine est privilégiée. Que ce soit en termes d’éducation, d’expériences de vie, de richesse même.  Et cela sans me dire très riche et sans être parmi les privilégiés de ma culture d’origine, Il est indéniable que je suis privilégié par rapport à un burkinabé moyen.

Les stéréotypes qui me collent à  ma peau blanche sont en majorité positifs : j’aurais plus d’argent (vrai même si pas autant que ce qu’on pourrait imaginer), je suis une intellectuelle ( vrai pour ma part), etc.  ( Voir aussi mon article le plus populaire de ce blog : «  faire des trucs de blancs »).

Avoir l’humilité de me dire immigrée est un pas vers plus de solidarité envers tous les immigrés.

Reconnaitre que je suis privilégiée dans cette expérience, c’est reconnaitre les discriminations dont les autres immigrés sont victimes car sans reconnaissance , on ne peut pas les combattre.

En bonne immigrée , je soutiens bien entendu l’équipe de mon pays d’accueil

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