L’argent. Pour l’être humain, le rapport à l’argent est souvent difficile. Peur d’en perdre, difficulté à le conserver. Lié à notre sentiment de sécurité ou empoisonneur de relations … De nombreux psychologues mais aussi des spécialistes (auto)proclamés en développement personnel travaillent sur la question à titre de l’individu. Mais est ce que le rapport à l’argent n’est pas également culturel ? De la culture où parler d’argent est vulgaire voir tabou ( en France par exemple, il est mal vu de parler de son salaire) à la culture où on affiche en grand ses revenus monétaires ( dans une partie des États-Unis par exemple) ; le rapport à l’argent est également influencé par notre culture.
Je vous aie déjà parlé du rapport à l’argent des burkinabè et des différences sur son usage et dans les transactions ainsi que de la difficulté de l’épargne dans cet article « Money, Money ».
Depuis je continue mes activités d’accompagnement à la création d’entreprises comme d’accompagnement d’associations. Et , il n’est pas peu dire que le rapport à l’argent au Burkina est aussi compliqué qu’ailleurs .
- Tout le monde en veut, personne ne le compte.
- Il y a une certaine impression intérieure de ne pas « maitriser » la gestion de l’argent mais quand vient la thématique de la gestion financière lors d’une formation, mes participants désertent.
- Tout le monde veut l’argent mais personne ne le garde. « Dès que l’argent entre en poche, il disparaît »
- Investir dans un projet est compliqué car avoir l’épargne nécessaire n’est pas évident et les crédits se donnent au compte-compte.. Pour de grands investissements comme la construction d’une maison, la plupart des burkinabè vont emprunter une relative petite somme , acheter le terrain et peut-être commencer les fondations puis ayants épuiser le crédit, attendre de le rembourser, en demander un deuxième, monter les murs un peu, rembourser le deuxième crédit. Attendre une arrivée exceptionnelle d’argent, confectionner la toiture, etc. La construction peut ainsi prendre de nombreuses années.
Mais d’où vient cette spécificité culturelle dans le rapport à l’argent ?
Pourquoi , si je caricature, le belge va épargner sur le moindre centime et le burkinabè va dépenser dès que l’argent arrive ?
De ce que je peux observer, le concept même de l’argent n’est pas conçu de la même manière de part et d’autre.
Si en Belgique et plus largement en Occident, on considère l’argent comme un solide, une masse ; au Burkina ( et je pense plus largement en Afrique de l’Ouest, bien que cela serait à vérifier), l’argent a toutes les caractéristiques du liquide, du fluide.
En occident, l’argent se compte. Il se garde précieusement, jusqu’à ce qu’on le dépense. L’argent est une somme. Il est difficile à mouvoir. Quand on investit une grosse somme, cela fait peur, car la masse de notre argent diminue. D’ailleurs on doit aller chercher cette masse dans un compte épargne, faire une démarche supplémentaire pour « couper » dans notre somme d’argent.
Au Burkina, c’est difficile de garder l’argent. L’argent est un flux. « Quand tu as l’argent, il disparait tout de suite ». Au point que certains préfèrent même ne pas recevoir tout leur salaire en une fois mais préfère avoir des tranches plus petites, plus régulièrement. L’argent est fluide, impermanent. Quand on veut investir une grosse somme, on y arrive pas , parce que l’argent est difficilement accumulable. D’ailleurs, il y a une solution locale et culturelle à ce problème: être celui qui empoche la cagnotte de la tontine. On a cotisé, fait couler un peu d’argent régulièrement vers d’autres pour au moment de faire l’investissement être le récipient d’un flux plus important .
L’exemple de la préparation à la retraite.
Cette conception de l’argent solide pour les uns, liquide pour les autres s’illustre parfaitement par comment les uns et les autres préparent leur retraite.
En Belgique, on cotise pour notre retraite, on a ainsi à l’âge de la retraite accès à notre manne de cotisations qui va nous être redistribuée par l’État sous forme de versement mensuel. Pour compléter, car ces droits de pension sont de moins en moins suffisamment, on va épargner pour notre pension. On va mettre de côté une somme, sous forme de compte épargne souvent appelé compte épargne -pension dont la totalité nous sera rendu accessible lors de notre départ à la retraite. On va ainsi pouvoir prélever dans notre épargne-pension pour embellir notre retraite.
Au Burkina Faso, nous avons aussi accès à une pension payé par l’État et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale mais celle-ci reste très faible. On va alors, tant que notre salaire tombe tous les mois et en prévision de notre retraite, progressivement investir dans un business ( une boutique, un restaurant ou autre) – c’est d’ailleurs un des rares cas de figure où j’ai été témoin d’investissements par le burkinabè moyen- pour nous assurer que l’argent continue à couler pendant notre retraite, pour assurer un revenu mensuel après notre entrée à la pension.
D’un côté, en Belgique, on se prépare en accumulant une somme au fur à mesure pour avoir accès à un pot lors de notre pension. De l’autre côté, au Burkina Faso, on s’assure d’avoir toujours un revenu qui arrive vers nous régulièrement pendant notre pension.
Argent solide, argent liquide.

