Sous ce titre un peu provocateur, et parce que dernièrement j’ai reçu des sollicitations, vu des posts, me suis engagée dans des conversations sur le sujet, je vais vous parler dons de vêtements et développement.
Je dois avouer avoir une avis tranché sur la question : je suis contre l’envoi massif de vêtements de seconde main en Afrique ( et dans les pays dit « en développement » en général) si ce n’est pas en situation de crise humanitaire grave. Je m’explique en trois catégories d’arguments :
Je suis contre pour des raisons morales
La première des raisons qui me font hérisser le poil quand on parle de dons de vêtements de seconde main en Afrique ( ou ailleurs) est morale. Le « seconde main » ce sont des choses que nous ne voulons plus : passés de mode, pas à notre goût, devenus trop grand ou trop petit, voir même abimés légèrement. Or ce n’est pas parce que des personnes sont dans le besoin qu’elles n’ont droit qu’à ce que d’autres rejettent ! Même les personnes nécessiteuses ont le droit d’avoir des vêtements neufs.
Je suis pourtant la première à choisir mes vêtements en seconde main dans les boutiques associatives, les friperies , les brocantes MAIS la différence, c’est que je le fais par choix, un choix poussé par des valeurs écologiques et anti-gaspillage.
La personne qui est réellement dans le besoin n’a pas le choix, si on ne lui présente que des vêtements non voulus par d’autres, elle prendra ce qui a. Sauf en cas d’urgence humanitaire, il me parait plus respectueux de construire des projets permettant à ces personnes d’avoir accès à des habits dignes et neufs.
Je suis contre pour des raisons écologiques
Les vêtements actuels, phénomène malheureusement poussé par la fast-fashion et des producteurs peu consciencieux, sont constitués largement en fibres synthétiques. Fibres synthétiques qui ne tiennent pas le coup face aux conditions climatiques des tropiques : trop chaud, trop d’UV, trop sec puis trop humide. J’ai été surprise moi-même de la vitesse à laquelle mes propres vêtements achetés en Europe se sont dégradés et sont devenus rapidement non présentables. Du coup, ces vêtements de seconde main finissent rapidement et en quantité dans les décharges sauvages de déchets.
Localement au Burkina mais aussi dans d’autres pays récipiendaires de ces vêtements, il n’y a pas de capacités locales de traitement de ces fibres en bout de course. Le problème de la gestion des déchets textiles est donc exporté en même temps que les vêtements de seconde main. Et c’est un problème gigantesque. Avec une simple recherche google, on tombe sur des chiffres astronomiques : 260 000 tonnes chaque année qui débarquent au port d’Accra au Ghana , 185 000 tonnes en 2019 importés au Kenya
Si une partie de ses vêtements sera achetée localement et portée quelques temps avant de finir dans les décharges, d’autres mal triées à la source finissent directement dans les décharges ou dans la mer pour les pays côtiers.
Certaines associations qui pratiquent la collecte de vêtements disent le faire de manière éthique, c’est notamment le cas du groupe TESS en Belgique, bien que j’ai eu beaucoup de mal à trouver les critères éthiques sur cet aspect environnemental dans leur charte.

Je suis contre pour des raisons économiques
Pour le volet économique, je n’arrive pas à voir en quoi cet envoi de vêtements de seconde main, même encadré par des critères d’éthique ( et il faudrait voir lesquels), contribue au développement des pays africains.
Comme me le disait un ami burkinabè : « on ne se développe pas grâce à des dons ». Et les dons peuvent faire, à l’échelle d’une économie nationale, plus de mal que de bien.
Le Burkina Faso est un producteur de coton, il produit aussi une partie de ses fils. Mais l’industrie du vêtement est déjà tellement chargée par les vêtements de seconde main ( appelés « France au revoir ») qu’il y a peu d’investisseurs qui sont prêts à développer la transformation et la fabrication textile sur place, privant ainsi l’économie burkinabè de la valeur ajoutée qu’une filière textile nationale complète pourrait apporté.
Peut-être (il faudra me le démontrer) qu’une construction d’une filière de réutilisation de ses vêtements sur base des principes éthiques peut créer quelques emplois. Le marché de la friperie est d’ailleurs très développé au Burkina comme ailleurs, avec des commerçants privés qui revendent des vêtements de seconde main acheté par ballots à des revendeurs qui eux même se fournissent dans ces grands centres de tris de vêtements de seconde main qui existent en Europe.
Mais cela ne permet pas et ,même, entrave le développement d’une filière textile complète. Cela ne permet pas l’industrialisation et le développement économique du pays.
Ce à quoi le don des vêtements que vous ne portez plus sert réellement :
Alors le don du pull reçu à Noël que vous ne porterez jamais ne sert vraiment à rien ? Pas tout à fait, voici à quoi sert vos dons de vêtements de seconde main pour peu que l’habit donné soit de qualité et que vous choisissez une boite à vêtements gérée par des associations particulièrement attentives à l’éthique.
Votre don va servir à :
- Prolonger un peu la durée de vie de l’habit avant son rejet total ( pour peu que cet habit soit de qualité)
- Créer de l’emploi pour des personnes en réinsertion dans votre pays européen ( comme on trouve certains centre de tris en Belgique ou ailleurs)
- Participer au financement de l’association qui gère la collecte si l’habit est revendu en Europe dans les boutiques de seconde main
- Permettre à certaines personnes plus défavorisées d’avoir accès à un vêtement de plus haute qualité à moindre coût si celui -ci est revendu dans les boutiques de charité
- Maintenir quelques emplois de vendeurs ou vendeuses de fripe en Afrique
MAIS votre don n’élimine en aucun cas la problématique du déchet final et contribue à la pollution environnementale ailleurs. Votre don ne contribue pas au développement économique de l’Afrique ( c’est même plutôt le contraire).
Pour plus d’informations sur le scandale des vêtements de seconde main vous pouvez consulter cet article ou via ce reportage vidéo.

