Je vous préviens cet article sera long, un peu intense et avec pas mal de liens et de références. Car, contrairement aux institutions internationales et aux nations occidentales, ayant condamné sans nuances le coup d’état arrivé en début de semaine au Burkina Faso, comprendre ce qui se passe et s’est passé demande de la nuance et de suspendre notre cadre de jugement occidental.
Quand un certain chef d’état ose dire que « Notre priorité, c’est l’intégrité du président Kaboré » en faisant ainsi de la population burkinabè et de ses 1,5 millions de déplacés, une non-priorité, ça ne peut que m’énerver. Et quand je m’énerve, j’écris beaucoup.
Mais commençons par rassurer ma famille et amis qui ne sont pas dans le pays : je vais très bien et ne suis pas en danger. Si vous en doutez, voici un petit aperçu de ma semaine.
Ma semaine du coup d’état
Samedi 22 janvier, des appels à manifestations sont prévus dans tout le pays. Depuis quelques mois, il y en a régulièrement. L’ambassade belge nous recommande d’éviter les centres -villes et de limiter les déplacements. Ma colocataire et moi, nous restons donc tranquille à la maison. On passe la journée à lire, cuisiner, papoter.
Dimanche 23, un ami burkinabè me contacte tôt le matin par message. Il a entendu des rumeurs de coups de feu dans les casernes militaires. Il me conseille d’être prudente. A 9h, les données internet mobiles sont coupées : une stratégie utilisé déjà à plusieurs reprises par le régime en place depuis fin novembre ( voir aussi cet article). A 13h, je prends ma moto, direction le bureau et son Wi-Fi pour pouvoir quand même appeler mes parents. Les rues sont calmes. Vers 18h, je me rends à ma séance de Yoga. Pendant ce temps, c’est la 8ème de finale de la Coupe d’Afrique des Nations. Le Burkina va gagner son match aux forceps : 7-6 aux tirs au but. La foule dehors est en liesse. Je rentre de ma séance entourée de coups de klaxons et de supporters en joie. Sur le chemin, j’apprends qu’un couvre-feu a été décrété à 20h. Il est 19h55, je rentre tranquillement à la maison et vais me coucher pas trop tard. La nuit sera calme sans les bruits habituels des dancings voisins.
Lundi 24 : je vais un peu plus tard au bureau, vers 9h. Je me connecte au Wi-Fi , rassure mes amis belges. J’apprends que les écoles sont fermées. Les nouvelles qui viennent de Ouagadougou sont confuses : le président serait arrêté, en fait non en lieu sûr ; des militaires auraient pris la Radiotélévision nationale. Quelque nations occidentales condamnent déjà un éventuel coup d’état. A 18h, les militaires font une émission spéciale et annoncent avoir pris le pouvoir. Paul-Henri Damiba , dont le nom a circulé toute la journée est le nouvel « homme fort » du pays. A 20h, les données internet mobile sont rétablies. Je passe la soirée à rassurer ceux et celles que je n’avais pas pu joindre le matin.
Mardi 25 : Je me rends tôt au bureau , vers 8h. On fait réunion à 9h, un peu moins nombreux que d’habitude car quelques collègues sont à la résidence qui a débuté hier. La journée se passe comme un mardi habituel. Le couvre-feu est ramené de 21h à 5h. Les frontières aériennes son réouvertes. Je vais au yoga à 18h.
Mercredi 26 : Autre journée banale. Je vais au bureau. En milieu d’après-midi, je vais rendre mon livre à la bibliothèque du centre culturel Français qui a aussi rouvert ses portes. Je télécharge le livre du nouvel « homme fort » du Burkina : « Armées Ouest Africaines et terrorisme : réponses incertaines ? ». C’est que Paul-Henri Damiba semble avoir son idée sur la sécurité du pays. A 18h, j’accueille mes participants au cycle de créativité entrepreneuriale. Ce soir, on parle étude de marchés. Je clôture vers 19h30, tout le monde aura bien le temps de rentrer à la maison.
Jeudi 27. Au matin, je suis au bureau. Après un riz-sauce-feuille, je rentre à la maison pour l’après-midi, j’ai quelques petits trucs à regarder pour l’association des Eco-conseillers. En soirée, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba s’adresse à la télévision. Le bandeau sur l’écran annonce : président du MPSR et chef de l’état. Son discours a de quoi mettre en confiance. Le couvre-feu passe de minuit à 4h.
Vendredi 28 : Le matin, je fais quelques démarches. Notamment je vais payer mes impôts, ils sont ouverts. Tout fonctionne. Enfin, sauf la connexion pour encoder mon dossier mais ça s’était déjà le cas l’année dernière. Ma colocataire, elle, accompagne un ami à Banfora à quelques 75 kilomètres de Bobo-Dioulasso.
Samedi 29 : Au moment, où je vous écrit. Awa, qui vient tous les samedis, fait la lessive. A 17h, ma colocataire et moi avons prévu d’aller voir un concert de balafon. Et à 19h, c’est les Étalons du Burkina en quart de finale de la CAN !
Une semaine bien loin du chaos et de la violence que nos esprits occidentaux imaginent quand on entend « coup d’état ».

Une condamnation internationale qui manque de contexte
Les coups d’Etat sont très mal vus par l’Occident mais aussi par les institutions qui ont adoptés le point de vue occidental comme dans cet article.
Les coups d’états sont vus comme de sources d’instabilités et décriés comme un manque de démocratie. Sauf , bien entendu, si le pouvoir est pris par des gens qui intéressent l’Occident, dans ce cas, on ne parle même pas du coup d’état dans nos journaux ( vous avez entendu parler du Tchad en 2021 ?).
Or, ces coups d’états n’apparaissent pas sans raisons ou uniquement par appétit du pouvoir par les forces armées. Ils ne sont pas nécessairement vécu dans la violence ni en opposition avec les désirs de la population.
Quelques journalistes européens commencent cependant à donner une analyse plus nuancée et complète, notamment aux lueurs de la vague des coups d’états de ces derniers mois au Sahel. Citons ici la BBC, France Inter, la RTBF avec cet article.
Bien entendu d’autres médias indépendants qui font un véritable travail d’investigation , donnent également des analyses poussées de la situation . C’est le cas de cette séquence sur Le Média avec Thomas Dietrich.
Un coup d’état peut-il être légitime ?
Alors, si la population est heureuse dans sa majorité du changement de régimes, peut-on dire que le coup d’état est légitime ? Ce qui s’est passé dimanche et lundi n’est pas une révolution car ce sont bien les militaires qui ont pris le pouvoir et non la population qui s’est soulevée et aurait reçu le soutien militaire ( comme ce fut le cas en 2014, toujours au Burkina Faso). C’est donc bien un coup d’état selon les définitions en vigueur.
Mais ce qui est certain , c’est que je n’ai pas encore rencontré depuis lundi soir un burkinabè entièrement contre le coup d’état qui vient d’avoir lieu. Bien entendu, certains, notamment parmi les plus âgés , sont inquiets de voir revenir un régime militaire après seulement 6/7 ans de gouvernance élue. Roch Christian Kabore avait été élu à la fin de la période de transition suivant la révolution citoyenne de 2014 qui avait mis fin au régime militaire de Blaise Compaoré (qui lui avait duré plus de 25 ans). Puis, Roch Christina Kaboré avait été réélu en 2021 pour un deuxième mandat. Et certains de dire que en temps de paix, il n’aurait peut être pas été si mauvais. Cependant, tous s’accordent pour dire qu’on voyaient venir le coup d’état depuis quelques mois. On le voit dans ce témoignage.
La gestion de la crise sécuritaire par le gouvernement n’était pas satisfaisante et la population ne se sentait plus sécurisé par lui. L’attaque d’Inata, fin novembre, qui avait résultée en la mort de gendarmes, gendarmes qui se sont révélés sous-équipés, non relevés malgré leur demande et sans rations alimentaires, a fini de briser la confiance du peuple et des corps armés dans la gestion du gouvernement.
Un gouvernement qui ne brillait pas non plus pour sa bonne gouvernance. La corruption, le copinage, les dépenses extravagantes étaient légions et parfois même documentés comme ce fut le cas en 2021 pour l’achat d’une voiture de luxe par la ministre de la culture avec les deniers publics.
La crédibilité des élections de 2021 et la légitimité de leurs résultats sont également remises en doute. Avec près de la moitié du territoire burkinabè en proie aux groupes armés terroristes, les élections n’ont pas été organisées partout. Il n’est pas rare également de voir les partis payer les plus démunis en zone rurale ou urbaine pour les enrôler comme électeurs. Le débat électoral , peu existant , est mené exclusivement en français, une langue qui bien qu’officielle n’est pas maîtrisée par tous dans le pays.
On voit aussi en Occident, des voix qui commencent à s’élever non contre la démocratie mais contre les différents systèmes électoraux. Ainsi en Belgique, on vote, puis les partis essaient de se mettre d’accord ( ça peut durer parfois près de 2 ans) pour qu’ensuite, ce ne soit pas les gagnants majoritaires des élections mais ceux qui ont pu le mieux négocier qui arrivent au pouvoir. En France, cela fait quelques élections présidentielles, où la minorité de français qui votent encore semblent plus voter contre un candidat pour éviter que celui-ci/ celle-ci passe que par conviction du programme de l’autre. Sans parler des États-Unis où le système des grands électeurs pour conduire un candidat minoritaire en nombre de voix, président.
Ensuite, que faire si les personnes élues se révèlent incapables, voir dangereuses pour le pays et sa population ? Doit on attendre la fin du mandat ? Quel type de contrôle populaire peut être exercé ? Au Burkina, où l’Assemblée Nationale est composé d’élus du même parti que le président, ce n’est pas évident qu’elle puisse jouer ce rôle.
Ce article explique, en prenant l’exemple du coup d’état du Mali en 2021, très bien comment les coups d’état sont des symptômes de mauvaise gouvernance et de systèmes électoraux non légitimes.
L’Armée a pour serment la protection de la Nation et du peuple et non la protection d’un gouvernement.
En théorie, l’armée pourrait donc être légitime d’intervenir si un gouvernement agit en opposition avec la protection de la population. D’ailleurs, une des revendications communes au Burkina et au Mali était notamment une meilleure gestion de l’armée et du matériel pour lutter contre le terrorisme.
Il leur serait par contre illégitime de s’éterniser au pouvoir sans organiser d’élections une fois les conditions pour mener des élections transparentes et complètes réunies.
Et maintenant ?
D’ailleurs, c’est exactement ce dont parle le nouveau chef d’état burkinabè dans son discours prononcé jeudi soir ( le 28 janvier) : un retour à un ordre constitutionnel se fera quand les conditions seront réunies ( et non dans un calendrier prédéfini par des institutions étrangères devrait-on entendre entre les lignes ?).
Ce discours ainsi que les différents actes posés depuis mardi (rencontre avec les différents acteurs, réouverture progressive des frontières, etc.) donnent confiance au sérieux que semblent avoir les nouveaux dirigeants.
Très clairement la sécurité contre le terrorisme est une priorité, c’est également une priorité et une demande de la population. On sent aussi dans ce discours une aspiration à la bonne gouvernance et surtout à la souveraineté du pays.
Et moi, entendre un chef d’état « viser le bonheur de la population » ( oui, oui, il a utilisé le mot « bonheur », pas « développement » ni « croissance », non, bien « bonheur »), ça me rassure.
Même si dans mon fond pacifiste, je ne serai jamais tout à fait à l’aise avec l’idée de militaires comme gouvernants, j’attends de voir les réalisations de ceux-ci avec une certaine ouverture et un regard critique.
Et je suis assez curieuse de voir ce qui va se passer si jamais le Burkina gagne sa quart de finale ce samedi soir….

Bonjour Mayliss, et bonne année. Merci pour ces explications éclairantes.
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Merci Carmelo, très bonne année à toi également.
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Un constat exacte ;et pour ma part une très belle analyse et interprétation de la situation.
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